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En Afrique, la mode tue les rivières et les populations

Il y a quatre ans, en 2018, on assistait au boom des usines textiles chinoises en Ethiopie. D’immenses parcs industriels s’installaient près de la capitale, à Addib Abeba. Là-bas, des milliers d’africains y travaillent aujourd’hui pour un salaire extrêmement bas, le plus bas au monde. Bien en-dessous des salaires asiatiques. Si l’Ethiopie est en phase de devenir la star de la production textile en Afrique, malgré une baisse des commandes pendant la pandémie, d’autres régions ont suivi le pas.

Water Witness International, une association caritative de recherche composée de scientifiques œuvrant pour une gestion équitable et durable des ressources en eau, a récemment présenté une étude « How fair is fashion’s water footprint ? » ( Dans quelle mesure l’empreinte hydrique est-elle éthique ?) sur la dégradation des écosystèmes liée à la consommation et à pollution de l’eau par les marques de mode.

Dans cette étude, Water Witness analyse le cas de cinq régions productrices textiles : l’Éthiopie, le Lesotho, Madagascar, l’île Maurice et la Tanzanie, au-delà des pays du Maghreb qui représentent à ceux seuls 50% des exportations textiles du continent.

Pollution et esclavage moderne

“Bien qu’il existe de nouvelles bonnes pratiques, nos recherches montrent que la production de vêtements, y compris pour les grandes marques en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis tuent les rivières africaines par des rejets polluants des eaux usées non traitées », publie le document. En conséquences : les populations locales et les animaux ne peuvent plus s’alimenter en eau propre. L’eau étant, de plus, une denrée rare sur un sol frappé par la sécheresse.

« Nous constatons que les besoins de l’usine sont souvent prioritaires sur le droit humain : l’accès à l’eau devient rare. Les ouvriers d’usine, composés de femmes à 80 %, n’ont souvent pas accès à des installations sanitaires, ce qui porte atteinte à leur dignité, à leur bien-être et à leur santé. Un manque d’accès à l’eau potable et aux toilettes sur le lieu de travail est un indicateur largement reconnu de l’esclavage moderne », souligne le rapport.

Qui bénéficie d’une telle production?

Plusieurs pays sont déjà fortement dépendants du secteur qui peut générer jusqu’à 60% des recettes d’exportations nationales et jusqu’à 30 % du produit intérieur brut (PIB). Aujourd’hui, les principaux producteurs textiles sont l’Afrique du Sud, l’Eswatini, l’île Maurice, Madagascar, le Burkina Faso, le Lesotho, le Kenya et l’Éthiopie ainsi que dix autres pays où le secteur de la mode est activement nourri. 

Quels sont les marchés consommateurs ? L’Europe, notamment la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, puis l’Asie de l’Est et les États-Unis, qui importent à eux seuls des vêtements d’une valeur de 685 millions de dollars américains par an en provenance d’Afrique.

Attirées par ce nouvel Eden de la confection textile, de nombreuses marques de mode ont déjà franchi le pas, puisque le salaire moyen est le plus bas du marché, à 23 euros par mois… contre 277 euros en Thaïlande, 163 euros au Cambodge ou encore 85 euros au Myanmar, selon les dernières données disponibles publiées en 2019 dans un rapport du Centre Stern pour les affaires et les droits de l’Homme de l’Université de New York.

Et parmi ces marques, l’étude relève Adidas, Asos, Calvin Klein, Carrefour, Disney, Dockers, Etam, G-Star, GAP, George (ASDA), H&M, Hanes, Hugo Boss, Levi’s, Mango, Marks and Spencer, Monsoon, Next, Otto Group, Primark, Puma, Reebok, Ralph Lauren, Tesco, Tommy Hilfiger, Walmart et Zara.

Empreinte hydrique sur 1 t-shirt et 1 jean, basé sur l’analyse de Chapagain et al, équivalent à 76 baignoires.

Comment inverser la tendance ou, du moins, avoir un meilleur impact hydrique?

« Nous n’appelons pas à la fin du sourcing de mode en Afrique. Au lieu de cela, nous appelons à l’action et à l’assurance que l’approvisionnement et la production de biens en Afrique soit basés sur l‘utilisation durable des ressources et des conditions décentes de travail. Nous exigeons la responsabilité et le leadership des acteurs du secteur de la mode pour inverser cette tendance inacceptable de l’utilisation irresponsable et illégale de l’eau », poursuit l’étude. En effet, l’adoption d’une bonne gestion de l’eau dans tout le secteur doit être immédiate, au même titre que la certification des usines aux normes occidentales.

Par ailleurs, les producteurs, les marques, les détaillants, les investisseurs, les gouvernements et les consommateurs doivent agir maintenant pour veiller à ce que l’industrie de la mode ait une « empreinte hydrique saine » en Afrique. De ce fait, la création d’emplois et la croissance des pays par l’industrie textile ne devrait pas avoir d’impacts destructeurs sur l’eau et les populations.

L’analyse de Water Witness définit la marche à suivre pour garantir une pollution zéro, une eau potable, un assainissement et la protection des écosystèmes, afin que l’Afrique puisse devenir un modèle mondial de production durable proposant des emplois décents dans le secteur de la mode plutôt que d’être victime de la fast fashion

Témoignages recueillis sur place par Water Witness

« La gestion des eaux usées est le principal problème pour Madagascar. Notre loi sur l’eau oblige les entreprises à traiter leurs eaux usées, mais les zones industrielles ne sont pas conformes, à l’exception de quelques-unes qui le font volontairement. » Directeur d’ONG à Madagascar.

« La situation (de la pollution de l’usine textile) a été portée à l’attention des autorités à plusieurs reprises, mais il n’y a eu aucune amélioration ou action réalisée. La pollution menace notre santé car nous mangeons des légumes irrigués avec ces eaux. La pollution entraîne des brûlures de la peau et des maladies. », Leader de communauté en Tanzanie.

« Il y a une vraie négligence et un manque d’engagement des entreprises concernant l’application des normes requises. Les entreprises ne deviennent réactives que lorsqu’une lettre ou un avertissement est donné par des organismes de réglementation gouvernementaux. », responsable d’usine en Ethiopie.

Enfin, de manière prometteuse, un certain nombre d’acteurs du secteur tels que l’entreprise Tooku Garments en Tanzanie, Indochine, H&M, PVH et l’Industrial Parks Development Corporation en Éthiopie, s’engagent pour une bonne gestion de l’eau en s’’alignant sur la norme The Alliance for Water Stewardship (AWS).

La production de masse continue à faire des ravages sur l’environnement et les hommes. Ce fléau répandu en Asie reste encore beaucoup trop méconnu aujourd’hui sur le continent africain. La Chine, à l’initiative du “Made in China, fashioned in Africa” tire son épingle du jeu grâce à ses multiples accords commerciaux avec l’Afrique, dont la main d’oeuvre est jusqu’à 7 fois inférieure que dans ses pays voisins sous-traitans (Vietnam, Laos, Cambodge, Myanmar). Une nette prise de conscience et des actions concrètes sont donc nécessaires, aussi bien chez les producteurs que les consommateurs pour redonner du sens et de la valeur à cette industrie.

Crédit photo : Robin Hammond

Lire l’étude complète (en anglais) ici

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