Arielle Levy incarne une vision du monde radicalement différente. Fondatrice de Une Autre Mode Est Possible (UAMEP), un collectif engagé pour une mode plus responsable, elle milite depuis des années pour valoriser les savoir-faire artisanaux, préserver le patrimoine immatériel et proposer des alternatives viables face aux dérives de l’industrie textile. À travers son parcours riche et diversifié, allant de la communication au développement de marques écoresponsables, Arielle Levy a pour vocation de relier, transmettre et innover.
Dans cette interview, elle revient sur son engagement, la naissance d’UAMEP, ainsi que sa vision pour un avenir où la mode, loin d’être un simple produit de consommation, devient un outil de transformation sociale et environnementale.
Quelques mots pour vous présenter, Arielle. D’où venez-vous ?
Je suis née à Paris avec des origines alsaciennes, bordelaises et d’Afrique du Nord. Après des débuts dans la communication, j’ai passé vingt ans dans l’industrie innovante et dans des PME du textile à forte valeur ajoutée, où j’ai occupé des postes variés, notamment chef de produit, directrice marketing et développement, puis directrice générale. En 2008, j’ai cofondé L’Herbe Rouge, une marque pionnière de l’écoconception. Puis en 2017, j’ai fondé avec Élise Redel, Cécile Jeanne Gayrard et Anne Laure Eustache l’association Une Autre Mode Est Possible (UAMEP), fédérant des créateurs autour de ma signature, créée en 2011 : « un autre mode de créer, produire, distribuer, communiquer et consommer ».
Mon engagement s’étend aussi à la valorisation des savoir-faire, des territoires et du patrimoine matériel et immatériel à travers des postes associatifs comme au Viaduc des Arts ou dans des conseils d’administration culturels. En parallèle, je transmets mon expertise dans les écoles et je travaille à rendre visibles les talents de la mode engagée, notamment à travers La Cour des Icônes, première agence 360° de communication et d’événements dédiée à la mode durable.
Comment est née cette volonté de promouvoir une « Autre Mode » ?
Depuis 2007, j’ai été témoin, comme beaucoup, de la désindustrialisation, de l’uniformisation et de la disparition des savoir-faire dans le textile, souvent accompagnées de déshumanisation, comme ce fut tristement le cas avec la catastrophe du Rana Plaza en 2013. Cependant, au-delà de cela, c’est un parcours de vie qui m’a guidée : il s’agit de prendre soin des plus fragiles, de proposer des alternatives viables et innovantes, tout en cherchant à relier les acteurs de ce changement.
Mon action se concentre donc sur la valorisation des savoir-faire textiles, du patrimoine culturel et naturel, tout en encourageant des changements profonds dans les modes de consommation, notamment en milieu urbain.
Quand avez-vous créé UAMEP, et comment fonctionne aujourd’hui le collectif ?
J’ai cofondé UAMEP en 2017. Il s’agit d’un collectif associatif et artistique à but non lucratif, regroupant près de 100 créateurs, créatrices et artisans indépendants engagés dans une mode responsable, solidaire et circulaire. Nous fonctionnons avec une gouvernance circulaire, où chaque voix compte. Nos actions se concentrent sur l’édition de projets innovants, en partenariat avec des acteurs de l’économie réelle, tels que des associations, des collectivités, et des artisans du réemploi.
Le collectif, très frugal en termes de ressources, est soutenu par la ville de Paris, des partenaires privés, et les contributions des adhérents. Nous valorisons également des services à travers des ateliers ou des projets artistiques.
Qu’est-ce que La Maison des Autres Modes ?
Depuis 2017, après plusieurs résidences et boutiques éphémères, La Maison des Autres Modes est née comme un lieu artistique, circulaire, solidaire, et zéro déchet. Ce lieu est conçu pour le grand public et vise à incarner au quotidien la vision de notre association. Nous souhaitons particulièrement ancrer ce projet dans le 11e arrondissement de Paris, un territoire fertile et en demande de ce type d’initiatives.
Quel est le message principal que vous souhaitez transmettre à travers UAMEP ?
« Une autre mode pour un autre mode et un autre monde. » Nous souhaitons montrer qu’il est possible de créer une chaîne de valeur autonome, qui respecte les savoir-faire et les matières premières. Depuis plus de dix ans, je dénonce la dégradation de cette chaîne et j’œuvre pour sa reconstruction.
La 4e édition de votre événement s’est tenue du 6 au 12 octobre. Qu’avez-vous présenté?
Autour de nos 25 engagements, nous avons présenté Le défilé manifeste des autres modes, une forme de plaidoyer artistique. La journée Réparation a mis en lumière de nouvelles façons de travailler ensemble et de créer de la valeur. Nous avons aussi organisé des tables rondes sur la transmission dans l’école publique, un appel à mutualiser nos forces pour l’éducation. D’autres événements ont eu lieu à la Cité Fertile et dans les boutiques de nos créateurs, ainsi que des balades dans le 11e arrondissement de Paris pour découvrir des initiatives locales. Nous avons également organisé des visites dans des lieux axés sur l’inclusion, montrant ainsi que l’on peut travailler ensemble de manière solidaire.
Parlez-nous du « Pôle Réparation ». Pourquoi la réparation attire-t-elle tant de jeunes aujourd’hui ?
Le Pôle Réparation est un projet que nous avons développé avec Céline Dupuy, experte en design, réparation et upcycling. Notre objectif est de transmettre des gestes souvent oubliés, tout en sensibilisant à des pratiques responsables et en adoptant une approche low-tech, mais ludique. La réparation est porteuse de sens : elle allie intelligence de la main, bien-être et autonomie, en offrant aux jeunes un espace concret et accessible pour exprimer leurs compétences et leurs aspirations dans un monde qui les déçoit souvent.
Quelles sont vos inquiétudes quant au monde actuel ?
Je suis préoccupée par l’accélération de la fast fashion, qui devient chaque année plus rapide et déconnectée des savoir-faire traditionnels. Il y a un manque flagrant de pragmatisme, et les inégalités dans la répartition des rémunérations sont criantes, particulièrement pour ceux qui créent de la valeur matérielle et immatérielle. Enfin, l’oubli des sujets essentiels, comme la santé, la culture, et la curiosité pour le monde, est profondément alarmant.
Vos rêves et projets à venir… ?
Mes rêves sont simples : continuer à m’émerveiller devant la nature, le sourire d’un enfant, une belle exposition, ou un geste d’amitié. Je souhaite aussi que les femmes du monde entier se relient et que la création remplace le bruit des armes. Mon projet actuel est de renforcer le lien par le textile au-delà des frontières françaises et de développer davantage d’expositions manifestes avec mes amis designers, comme Maud Louvrier Clerc.
Photo Une : Adrien Penpenic
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