Dans l’industrie de la mode et du textile, les biotextiles tels que les cuirs à base de mycélium, de cellulose bactérienne, de dérivés de fibres végétales et de déchets de fruits sont des alternatives naturelles au cuir. Au sud du Chili, le LABVA (Laboratoire de Biomatériaux de Valdivia) recherche des biomatériaux à faible impact environnemental afin d’aider l’industrie à élargir sa palette d’options. Pour en savoir plus, nous avons interviewé Alejandro Weiss, co-fondateur du LABVA et responsable de production.
Qu’est-ce que le LABVA?
Le Laboratoire de Biomatériaux de Valdivia (LABVA), au Chili, est fondé comme un laboratoire indépendant et autogéré. Nous cherchons à questionner les matérialités qui nous entourent et la culture qui leur est associée. Nous promouvons la recherche, l’expérimentation et le prototypage de nouvelles matérialités comme outil de diffusion environnementale et d’autonomisation des citoyens dans une optique territoriale.
Sur quels biomatériaux travaillez-vous?
Nous nous sommes lancés le défi de créer une palette de biomatériaux hétérogène et diversifiée avec une appellation d’origine associée à des matières premières – déchets naturels et/ou anthropiques – que l’on trouve en abondance dans notre environnement. En utilisant une méthodologie de conception basée sur la biodiversité, nous générons des biomatériaux issus à la fois de la culture d’organismes (GIY – Grow it Yourself) et de recettes de cuisine (CIY – Cook it Yourself) pour le développement de nouveaux matériaux. Ainsi, à mesure que la biodiversité et les logiques productives et culturelles évoluent, de nouveaux matériaux émergent permettant ainsi de nouvelles opportunités pour les économies locales. Notre palette de biomatériaux comprend par exemple du biotextile de cellulose bactérienne, de biocompost de cendres, de la biocéramique de calcium, du biopolymère d’algues et du biopolymère d’amidon.
Que pensez-vous de l’impact de l’industrie textile sur la planète?
Actuellement, la production textile est l’une des principales consommatrices de ressources telles que les combustibles fossiles et l’eau (UNECE, 2018), ce qui la positionne comme l’une des industries ayant le plus grand impact sur la planète : sa production à grande échelle définit l’industrie de la mode comme responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2 (Measuring Fashion, de Quantis & Climate Works Foundation), produisant plus d’émissions que tous les vols internationaux et expéditions maritimes combinés et utilisant des ressources en eau équivalant à l’approvisionnement de 5 millions de personnes (ONU, 2019).
Cet impact peut s’expliquer en partie par la déconnexion entre la chaîne de production textile -de l’origine des matières premières utilisées, les structures de travail, les systèmes de production de masse aux logiques de distribution sur les marchés mondiaux- et les utilisateurs finaux, provoquant une perte de sensibilisation aux coûts et impacts associés à la production textile. En conséquence, 85 % des textiles dans le monde sont envoyés dans des décharges équivalant à 21 milliards de tonnes par an (UNECE, 2018), des vêtements qui n’utilisent pas non plus de matériaux biodégradables ou compostables. Par conséquent, la nécessité de générer de nouvelles alternatives textiles, à faible impact environnemental et social, de nature non extractiviste et basées sur de nouveaux procédés de biofabrication à partir d’organismes biologiques, devient urgente
Parlez-nous du maqui : quel biotextile obtient-on à partir de cette plante?
Depuis LABVA, nous lançons un processus de recherche et d’expérimentation pour trouver des alternatives de biomatériaux basées sur l’abondance naturelle caractéristique du territoire macro-sud du Chili. À la suite du processus, nous avons réussi à développer un biotextile à partir de la fermentation d’Aristotelia chilensis (maqui), une plante endémique de ce territoire.
Maqui Biotextil est un biopolymère produit par une colonie de bactéries (Komagataeibacter xylinus) lors d’un processus de fermentation des feuilles de maqui, dans des conditions environnementales contrôlées et des surfaces de culture minimales. Le biotextile est le résultat de millions de nanofibres entrelacées qui sont « imprimées » par des bactéries pour se protéger des micro-organismes extérieurs au milieu de culture, en adoptant la morphologie des récipients de culture. Ainsi, la cellulose bactérienne générée présente des attributs uniques : haute résistance mécanique et flexibilité, texture et aspect similaire au cuir provenant d’une source non animale.
Ce nouveau biomatériau cherche non seulement à impacter positivement les aspects de durabilité matérielle, mais surtout à établir des liens affectifs avec le territoire et sa culture.
Selon vous, quels biomatériaux s’adaptent le mieux à la mode?
D’après notre expérience, l’un des biomatériaux les plus performants pour l’industrie de la mode est le biotextile, une véritable alternative au cuir animal. L’expérience des cuirs à base de mycélium, de cellulose bactérienne, de dérivés de fibres végétales et de déchets de fruits apparaît comme une option de plus en plus réelle pour entrer dans l’industrie du textile et de la mode.
Dans un pays comme le Chili, la mise en œuvre de productions de ces biomatériaux peut être encore plus révolutionnaire. Si nous analysons du point de vue de l’industrie locale (Chili), la plupart des matériaux sont importés de l’étranger, soit en raison d’un problème de prix, soit parce que notre pays n’a pas d’industrie ou d’alternatives matérielles développées localement. Ainsi, le développement de biomatériaux locaux peut favoriser la création d’un nouveau système local de production de biotextile, permettant non seulement de nouvelles alternatives et différenciations dans les problématiques de conception, mais surtout les possibilités de création de nouveaux emplois et réseaux de production dans une petite et moyenne industrie de la mode.
De plus, dans la perspective des tendances lentes, les biomatériaux permettront à la production de mode locale d’être assurée de sa traçabilité, non seulement dans les aspects de biodégradabilité et de compostabilité des nouveaux matériaux, mais surtout dans la possibilité de générer des matériaux à très faible impact environnemental.
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