À l’occasion du festival Fashion-Z qui s’est tenu au Palais Galliera les 25 et 26 avril, une nouvelle génération de designers a pris la parole. Entre direction artistique affranchie, influences croisées et refus de la production de masse, ils esquissent les contours d’une mode libérée, plus créative que jamais.
Comment les jeunes designers conçoivent-ils l’avenir de la mode ? Au Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, des étudiants de l’école de mode Duperré se sont frottés à la scène – dans tous les sens du terme. À l’occasion du festival Fashion-Z, un événement inédit créé en partenariat avec le Campus Mode, Métiers d’Art & Design (MoMADe), Rohan, Loise, Sarah, Maxime et Chloé ont pris la parole devant un public de fashionistas aguerris pour raconter le vêtement autrement : un vêtement artistique, spectaculaire, à l’image de leurs univers.
Rohan Mirza et Loise Hulin, passionnés de jeux vidéo, se sont associés à Sarah Bouyssou, adepte de la scénographie, pour créer une expérience immersive unique. De leur côté, Maxime David et Chloé Fernandes ont puisé dans le spectacle vivant pour imaginer un projet avec le Centre Pompidou. Ces cinq jeunes créateurs ont un point commun : ils ne se contentent pas de faire de la mode, ils l’intègrent sur scène et aux autres arts, réinventant ainsi le vêtement. Retour sur « Nouveaux imaginaires », la table ronde qui questionne le rapport du vêtement sur les scènes.

Photo : Stella Chaspoul Autuoro
Une plongée dans l’obscurité avec le défilé de Nuketown
Rohan, Loise et Sarah se sont bien trouvés. En s’inspirant de l’imaginaire de Rohan, directeur artistique du projet, ils ont conçu une collection et un défilé inédits, plongés dans l’univers du jeu vidéo. Dans la pénombre du sous-sol d’un ancien magasin, chaque spectateur a été équipé d’une lampe torche, afin de suivre le défilé des mannequins, dans une atmosphère mystérieuse et immersive. Les PNJ (personnages non jouables, issus des jeux vidéo) déambulaient de manière aléatoire parmi le public, créant un environnement interactif et déroutant.

@marierohanaa / Instagram
La collection, intitulée Nuketown (en référence à la carte jouable dans la série de jeux de tir à la première personne Call of Duty), proposait une vision horrifique du vêtement, avec des silhouettes sculptées en 3D et des flocages qui se fondent directement sur la peau pour évoquer un effet de « corps augmenté ». Des matériaux tels que le silicone renforcent cet aspect futuriste et presque organique. Un véritable spectacle, où chaque détail compte, et où le public ne se contente pas d’assister à un défilé, mais plonge dans un autre monde. Comme le dit joliment Rohan :
« On descend d’un étage, mais on descend aussi dans un univers. »

@marierohanaa / instagram
Sous la lumière du Grand Palais : la performance du Surgissement
Maxime et Chloé, eux, ont été sollicités par le Centre Pompidou et son festival littéraire Extra!, qui a été revisité sous la forme du Cabaret Extra! lors du festival du Livre de Paris le 12 avril dernier. Au Grand Palais, les deux designers ont imaginé et créé les costumes d’une performance littéraire baptisée Le Surgissement, une expérience immersive qui a mis en lumière des personnages chimériques inspirés des animaux des Fables de La Fontaine. Sous la majestueuse verrière du Grand Palais, des chapeaux en 3D et des « faux-corps » ont défilé, tandis que des orateurs et musiciens participaient à la mise en scène de ce spectacle saisissant. Le défi pour Maxime et Chloé ? « Il faut penser le mouvement jusqu’au bout », soulignent-ils. Car habiller des danseurs, c’est un art bien différent que pour des mannequins : « Les danseurs ont des muscles, de la graisse… C’est totalement différent de travailler avec ces corps-là ! », s’exclame Maxime.

@daximemavid / Instagram
Ces projets, bien que très différents dans leur approche, reposent sur deux éléments fondamentaux : la culture et la collaboration. Les créateurs, animés par une passion commune pour les arts, s’unissent pour imaginer des univers collectifs. Ils créent ensemble, expérimentent ensemble, et évoluent au fil des projets. Aujourd’hui, les jeunes créateurs de mode sont avant tout animés par cette dynamique collective. La commercialité, quand elle est évoquée, ne fait pas partie de leur priorité.
La mode contemporaine : une mode où créativité prime sur rentabilité
Avec ces nouveaux talents, pas d’objectifs commerciaux démesurés, pas de production de masse. Ici, la priorité est donnée à la « DA » (direction artistique), à une créativité sans limite, en proposant des pièces uniques. Lors de cette table ronde, tous les intervenants ont insisté sur cet attachement viscéral à leur univers personnel, quitte à reléguer l’aspect commercial au second plan. « C’est important de ne pas voir trop loin parfois. Quand on pense commercial à grande échelle, on essaie de viser haut, alors qu’on peut se contenter d’un niveau où on réussit à garder notre direction artistique, et en même temps à vendre nos créations à petite échelle, juste assez pour en vivre. C’est une autre économie », explique Rohan, qui vend ses créations à des artistes, avec une production directement dans son atelier, lui permettant d’avoir assez d’argent pour reconduire un projet artistique. Cette vision contemporaine de la mode, où l’imaginaire prime résolument sur la rentabilité, dessine les contours d’un modèle économique alternatif, où la créativité, le partage et l’engagement artistique sont au coeur de la démarche.
Rédaction : Stella Chaspoul Autuoro
Photos : Stella Chaspoul Autuoro et Palais Galliera
Retrouvez l’actualité de la mode éthique dans notre magazine