De la Mère à la Terre : mémoire vivante, savoirs sacrés

Le 24 septembre, au Théâtre de l’Alliance Française à Paris, la soirée De la Mère à la Terre a réuni des femmes venues des Outre-mer, dans le cadre des Rencontres du Matrimoine ultramarin. Elles ont offert un voyage au coeur de leurs savoirs écologiques et sacrés, reliant la terre, la mémoire et l’avenir. 

 

 

“Ces femmes puisent en elles leurs mémoires, des savoirs, des techniques acquises d’avant la rencontre avec les Européens. Non seulement pour leur propre survie, mais aussi pour celle de l’humanité tout entière.” C’est par ces mots que la comédienne Olivia-Manissa Panatta introduisit les femmes ultramarines mises à l’honneur lors de la soirée De la Mère à la Terre. Organisé par l’association En Terre Indigène, cet événement s’inscrivait dans le cadre des Rencontres du Matrimoine ultramarin.

Le 24 septembre — date symbolique du rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France en 1853 — le Théâtre de l’Alliance Française, haut lieu de culture connu pour accueillir l’émission Le Masque et la Plume, a ouvert ses portes à une soirée où mémoire, poésie et savoirs ancestraux des Outre-mer se sont conjugués pour penser un avenir plus durable. 

 

 

 

Dès l’entrée dans la salle, le public était enveloppé par les rythmes de tambours et de musiques créoles, entre comptines et chants. Des tissus madras, aux teintes de jaune, de rouge et de vert, habillaient l’espace et rappelaient les motifs traditionnels des Antilles. Sur scène, une tisseuse travaillait en continu, entrelaçant des végétaux dans une oeuvre qui se construisait sous les yeux des spectateurs. 

La soirée a alterné projections documentaires, récits et chants, avec une idée forte : donner la parole aux femmes ultramarines qui portent aujourd’hui des savoirs écologiques, médicinaux et spirituels précieux. 

Retour à la terre

 

Les premières artisanes à se présenter sur scène ont mis en lumière des initiatives de reconnexion à la terre. Comme l’association Bwa Kapab en Guadeloupe, fondée par Chantal Labylle, qui accompagne les femmes à retrouver le chemin du jardin, de la plantation et de la transmission. “Le jardin que j’ai créé représente ma façon de vivre, à l’ancienne. C’est mon compagnon du quotidien. Mes plantes sont mes bébés, j’ai besoin de leur parler, de les toucher… c’est du vivant.” Son devoir est clair : transmettre ses savoirs, éduquer et sensibiliser le tout public, mais surtout insérer les plus vulnérables d’entre elles.

 

 

En Martinique, Annick Jubenot, fondatrice de l’association Lasote, apprend aux femmes à labourer la terre, à semer, mais surtout à créer de la solidarité entre elles, le tout en musique. “Le travail est une danse. Nous sommes en osmose avec la musique, et nous conjuguons ensemble, c’est notre force. Nous faisons corps avec la nature, qui fait corps avec le spirituel… Nous formons un tout.” 

 

 

Des gardiennes de la transmission, c’est comme cela qu’elles se considèrent. Pour elles, cultiver la terre est un acte militant, une manière d’imaginer un avenir où le jardin devient un espace de résistance, de partage et d’autonomie. 

Remèdes ancestraux

 

La deuxième partie de la soirée a révélé les savoirs thérapeutiques de femmes. À La Réunion, Reine-Claude Gonthier, tisaneuse, transmet l’art de cueillir et de préparer des plantes capables de soigner bien des maux. “J’ai grandi dans une famille de tisaneurs. Chez nous, la tisane était presque obligatoire car nos parents ne voulaient pas d’enfants malades. Donc mon but c’est de transmettre ce patrimoine que j’ai acquis.” La plante est pour elle, le premier médicament. En infusion, par décoction (ndlr : ébullition des plantes, généralement des racines) mais aussi en macération, les plantes peuvent se boire de différentes façons, avec pour seule consigne : remercier l’univers pour ce patrimoine si riche. 

 

 

 

En Polynésie française, Sarah Vaki, l’une des quatre dernières guérisseuses de son île Fatu Hiva, soigne la population grâce aux plantes locales. Là-bas, pas de médecin, mais des femmes dévouées et passionnées pour guérir les humains. “Toutes ces plantes, si tôt le matin, je dois les avoir sur moi. Mon huile de massage, que je fais moi-même, la poudre de santal, mon bouquet dans les cheveux…” Pour sa venue à Paris, elle a dû remplacer son bouquet habituel par des fleurs « d’ici », ce qui a amusé toute la salle. 

 

 

 

 

2025, un changement pour la Nouvelle-Calédonie 

 

À travers ces voix, c’est une autre histoire de la France qui s’est dessinée : celle de territoires où se concentre 80 pour cent de la biodiversité française et où des femmes se battent pour préserver des écosystèmes fragiles. Loin des grandes conférences internationales, elles incarnent un laboratoire d’idées et d’alternatives pour lutter contre le changement climatique et replacer l’humain au coeur des pratiques écologiques. 

Plus qu’un spectacle, De la Mère à la Terre fut une immersion sensible, un pont entre 1853 et 2025, date où la Nouvelle-Calédonie pourrait devenir le premier État associé de la France et siéger à l’ONU. Une manière de rappeler que la transmission des savoirs, portée ici par des femmes, reste l’une des clés pour écrire ensemble l’avenir.

Photos : Une (Sarah Vaki), En Terre Indigène.

Texte : Stella Chaspoul Autuoro

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