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Ramata Diallo : “En Afrique, on aime s’habiller et surprendre !”

Ramata Diallo est parisienne d’origine guinéenne. La mode et les voyages la passionnent. Elle travaille dans le secteur de la mode depuis son tout premier emploi en tant que chef de rayon junior chez Kiabi à Aubagne. Depuis, Ramata a exercé différents métiers au sein de directions marketing de marques de mode françaises : gestionnaire, chef de produit, ou encore responsable de collections. Aujourd’hui, elle partage son expertise du secteur de la mode à travers des formations et du coaching auprès d’étudiants, de porteurs de projets et de chefs d’entreprises.    

Quel a été votre parcours dans la mode ?

Je suis une ex-responsable de collections fast fashion. À l’époque, j’étais du côté obscur de la force… Je m’occupais du développement des collections de A à Z, depuis le dessin jusqu’à la distribution en magasin. Je travaillais en collaboration avec des stylistes et des gestionnaires pour élaborer les plans de collections. Je voyageais en Inde, en Chine et en Turquie pour négocier les quantités avec les fournisseurs. Je voyageais également à Londres, Barcelone, Tokyo et Milan pour détecter les tendances. En 2017, j’ai décidé de me mettre à mon compte en créant Fashion Consulting Paris afin d’accompagner les jeunes créateurs à créer des business models éthiques et performants. 

Vous avez lancé Africa Fashion Tour en 2017. Comment ce projet a-t’il évolué ?

Cette même année, j’ai entrepris un voyage en Afrique de l’ouest. J’avais envie de découvrir l’écosystème de la mode en Afrique. Je suis allée à Conakry, à Abidjan, à Accra et à Lagos. Pendant un mois, j’ai rencontré des designers, des marchands de tissus et j’ai assisté à des fashion weeks. A mon retour, j’ai pris l’engagement de privilégier la consommation de mode Made in Africa. J’ai lancé le podcast Africa Fashion Tour, j’ai écrit des articles pour Le Journal du Luxe sur le thème du luxe africain et j’ai été sollicitée pour des interviews dans différents médias. 

Depuis cette première tournée des capitales de la mode en Afrique en 2017, je me rendais tous les ans dans différents pays d’Afrique pour approfondir ma connaissance du secteur de la mode sur le continent aux 54 pays. J’ai récemment assisté au célèbre FIMA, le Festival International de la mode africaine organisé par le célèbre créateur de mode, Alphadi Seidnaly, à Rabat (Maroc) en décembre 2022. 

Mes voyages m’ont donné l’opportunité d’organiser des master classes, un pop-up store et de développer un réseau collaboratif entre différentes professions. Actuellement, j’enregistre de nouveaux épisodes de podcasts et j’ai pour projet de créer un média dédié à la mode africaine dont le lancement est prévu en janvier 2024. 

Qu’observez-vous sur la mode en Afrique ? 

La promotion des savoir-faire locaux devient un enjeu de premier ordre. La fierté nationale s’exprime à travers les vêtements fabriqués par des artisans. Et ce mouvement s’illustre par une évolution des habitudes des consommateurs. En Guinée, par exemple, les jeunes mariés sollicitent des créateurs pour réaliser des pièces sur mesure en utilisant des tissus tels que le leppi. La robe blanche ou le costume trois pièces empruntés aux codes occidentaux ne font plus l’unanimité. 

De plus, des créateurs basés sur le continent créent des collections aux multiples influences. Atafo – une marque nigérienne – propose des costumes pour homme aux coupes traditionnellement africaines (tunique et pantalon pour homme sans veste) fabriqués avec des matières italiennes. Et JK Dressing revisite le boubou traditionnel féminin avec des cols de chemises.

Le dressing du consommateur de mode en Afrique se divise en trois grandes catégories que l’on peut retrouver du nord au sud et d’est en ouest. On distingue le vestiaire business constitué de marques occidentales ;  le vestiaire cérémonie constitué de marques africaines et le vestiaire casual portant un savant mélange de pièces réalisées chez le tailleur du coin, de marques occidentales et africaines. 

Pour une élite africaine (et pas que), “Being overdressed is a way of life”. La sortie du vendredi soir pour aller boire un verre entre amies se transforme en véritable fashion competition. En Afrique, on aime s’habiller, on aime surprendre ! On ne veut surtout pas porter la même robe Zara que la voisine ! A Dakar, les sorties aux Almadies n’ont rien à envier aux dîners de Carrie Bradshaw et de ses trois acolytes de Sex & the City. 

Les créateurs ne cultivent pas l’uniformisation et la monotonie. Ils peuvent exprimer leur créativité avec audace pour un.e consommateur.trice amateur.trice avec de belles pièces originales et disponibles en édition limitée. 

Comment s’inscrit la mode éthique et durable en Afrique ? 

Les notions d’éthique et de durabilité ne sont pas des concepts marketing tendance pour les designers et les consommateurs de mode du continent. La production est, par définition, réalisée en petite quantité.  De nombreux designers proposent le service sur mesure. Les artisans qui travaillent le tissage de tissus Kente ou les teintures tye and dye fabriquent à la pièce dans des délais incompressibles. 

Les marques Tongoro et Allëdjo proposent des collections fabriquées au Sénégal. Ces deux marques sont différentes par leur style et leur storytelling. Elles partagent cependant le même business model qui repose sur une production en petite série.  

Le principe des 3 R, Réparer-Recycler-Réutiliser, est ancré dans la culture africaine sans faire l’objet de campagne annuelle. Les tissus sont transmis de génération en génération. Le tailleur de quartier n’a pas disparu. Il est régulièrement sollicité pour transformer des pièces, les agrandir ou les rétrécir. 

« En Afrique, le vêtement n’est pas considéré comme jetable, c’est un actif qui a plusieurs vies. »

Ramata Diallo

Quelle est votre vision de la mode actuelle en France ?

Le secteur de la mode se polarise entre Shein et Chanel. Hermès, Chanel, Kering  et LVMH enregistrent des croissances record et ne semblent pas connaître de crise. Le dynamisme du marché asiatique et le réveil du marché nord-américain ne font que renforcer les positions dominantes des géants du luxe dont la croissance s’appuie sur les ventes en dehors de l’hexagone. 

La France reste le vivier des plus belles marques de luxe au monde, et Paris, la capitale de la mode. L’essor de marques comme Ami Paris ou Jacquemus sont de beaux exemples de renouveau du segment haut de gamme et de la capacité de la France à produire encore de belles marques françaises contemporaines.  

A l’opposé des leaders du luxe, on retrouve les vendeurs de mode à bas prix tels que Kiabi, Stockomani ou Shein. Avec des business models très différents les uns des autres, ils répondent à une demande des consommateur.trices en quête de bonnes affaires. 

Dans un contexte économique difficile, ils parviennent à fidéliser une clientèle  exigeante, adepte de la seconde main sur des plateformes comme Vinted, par exemple, pour trouver le meilleur rapport qualité prix. Le milieu de gamme français, lui, semble pris en étaux entre le luxe et les leaders de la mode à bas prix, et Zara tire son épingle du jeu, alors que les annonces de redressement judiciaires de marques de mode se multiplient, marquant la fin d’une ère. 

Qu’aimeriez-vous voir évoluer ? 

Dans un monde utopique, j’aimerais que l’on puisse appréhender et anticiper les changements structurels du secteur pour former les équipes et gérer au mieux les plans de licenciements massifs. Les signaux faibles de cette crise du secteur sont visibles depuis plusieurs années. L’accumulation de facteurs externes récents – covid, concurrence de la fast fashion, hausse des coûts – a précipité la chute de certains acteurs déjà affaiblis par des crises internes, une baisse du trafic et du taux de conversion. 

Il y a des salarié.e.s qui ont consacré toute leur vie professionnelle à une marque et se retrouvent du jour au lendemain à devoir envisager leur future carrière dans un contexte délicat. Le choc est violent… D’ailleurs, les mois qui précèdent l’annonce d’un plan ou d’une mise en redressement sont des périodes de tempêtes internes extrêmement difficiles. Donc, il me paraît nécessaire d’analyser en profondeur la succession de mauvaises décisions qui ont pu conduire à la liquidation de marques françaises de milieu de gamme. 

Il me semble aussi important de célébrer et d’analyser les succès de belles marques françaises telles que Lacoste, Balzac, Fusalp ou Sezane. Les chef.fe.s de ces entreprises sont parvenu.es à tracer leur route vers le succès et à capitaliser sur leurs acquis malgré un contexte récent complexe. 

Vous enseignez dans les plus grandes écoles de mode françaises. Comment décririez-vous la nouvelle génération d’étudiants et quelles sont leurs préoccupations actuelles ?

Le secteur de la mode continue de faire rêver et de nombreux étudiant.e.s poussent les portes d’écoles de mode telles que l’ISAA – Institut Supérieur des Arts Appliqués -situé en plein cœur de Paris, à quelques pas du Panthéon, pour apprendre le métier de styliste.

La dimension éthique est importante pour la jeune génération qui veut proposer des business models vertueux et respectueux de la planète. Je suis toujours surprise par leur rapport aux réseaux sociaux. Les créateurs de contenus ne sont pas aussi nombreux qu’on pourrait l’imaginer. Les exemples de Simon Portes Jacquemus ou Olivier Rousteing qui mettent en scène leur vie sur Instagram sont des sources d’inspiration pour une minorité de futures designers qui préfèrent l’ombre à la lumière. 

Quels sont vos projets ?

J’ai envie de consacrer davantage de temps à l’écriture d’articles sur le secteur de la mode et aux interviews de professionnels.  J’ai récemment lancé la Newsletter Créativité & Succès dans laquelle je partage mes décryptages de l’actualité mode et des conseils à destination de porteurs de projet qui veulent lancer leur marque.  

J’ai envie de faire de cette lettre hebdomadaire ma principale plateforme d’échanges avec les différentes communautés qui me suivent sur Instagram, Linkedin ou Facebook. Avec ce format, je me sens plus libre pour aborder des sujets délicats tels que le manque de diversité ou le climat parfois toxique dans certaines entreprises du secteur. 

Photos : Ramata Diallo

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