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Lors du salon Fashion Act, organisé par COSE361 les 14 et 15 mai à Paris, les professionnels de l’industrie textile se sont réunis pour débattre des enjeux autour de la circularité. Parmi les sujets incontournables : la loi anti-fast fashion, qui concentre les espoirs et les inquiétudes du secteur. Au cours d’une table ronde dédiée, les intervenants ont dressé un état des lieux du texte réécrit après son passage au Sénat. 

Et si la mode française était en train de jouer sa survie ? À l’heure où l’ultra fast fashion redéfinit les règles du marché textile à vitesse éclair, la France tente un acte de résistance législatif. Portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland, la loi anti-fast fashion entend poser des limites à un modèle qui épuise ressources, travailleurs, et consommateurs et engendre des problèmes de concurrence. Mais à l’issue de son passage au Sénat, le texte s’est considérablement affaibli. Au point de rater sa cible ? 

Adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 14 mars 2024, la loi anti-fast fashion visait initialement deux leviers : interdire la publicité pour les marques d’ultra fast fashion (Shein, Temu…) et instaurer une prime-pénalité pour les entreprises sur les vêtements selon leur impact écologique — et non une TVA, comme l’a pourtant affirmé Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur français, aujourd’hui conseiller RSE chez Shein. Une position vivement critiquée par les défenseurs du texte. 

Mais une fois arrivée au Sénat, la loi perd de son impact. La rapporteure a recentré le texte exclusivement sur les marques d’ultra fast fashion comme Shein et Temu, écartant l’ensemble de la fast fashion. L’interdiction de publicité se limite désormais aux influenceurs, et le mécanisme de bonus-malus fondé sur l’impact écologique des vêtements est remplacé par un critère flou lié aux « pratiques industrielles et commerciales ». « Le texte est passé à côté de la cible », regrette Anne-Cécile Violland. Pour Julia Faure, cofondatrice de la marque Loom et présidente du collectif En mode climat, l’enjeu dépasse la sanction d’une marque isolée :

 

« Il ne s’agit pas de pointer une entreprise, mais d’éviter que toutes les marques suivent ces mêmes pratiques. »

 

FashionAct2025 - Les marques de mode vont-elles devoir toutes copier Shein ? - Pearls Magazine

FashionAct 2025

L’ultra fast fashion, un virus qui contamine tout le secteur 

 

Et c’est justement ce qui se produit. En multipliant les références à une vitesse folle, Shein impose un nouveau standard de consommation. Pour rester dans la course, d’autres enseignes lui emboîtent le pas. Kiabi, par exemple, ambitionne de devenir une place de marché à l’image du géant chinois. Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, ne mâche pas ses mots :

 

« Notre objectif depuis des années à la fédération, c’est de démontrer que Shein est le diable. »

 

Derrière cette formule choc, une réalité bien tangible : exploitation des travailleurs, impact écologique désastreux, fraudes fiscales massives : « En 2023, Shein a déclaré seulement 53 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors qu’ils faisaient près d’un milliard. » 

Mais au-delà des chiffres, c’est tout un modèle économique qui se répand. « Si vous êtes une marque aujourd’hui, vous avez deux options : vous laisser mourir, ou copier le pire », alerte Julia Faure. Sans régulations solides, c’est l’ensemble du secteur qui bascule vers une logique de production toxique, au détriment des acteurs vertueux. 

 

Au-delà de l’écologie, un enjeu géopolitique majeur

 

Derrière les enjeux écologiques, se dessine une bataille économique et géopolitique. « Temu et Shein ne sont pas rentables. Leur modèle est subventionné par l’État chinois, dans une stratégie de captation de nos données et de destruction de nos marchés », insiste Yann Rivoallan. 

Pour lui, la priorité est de rétablir un minimum de justice fiscale et commerciale : « Nous devons montrer que nos règles ne sont pas optionnelles. Sinon, les pires modèles gagneront. » Julia Faure renchérit: « Les marques doivent arrêter de faire de la RSE superficielle, et soutenir publiquement les lois qui structurent le secteur. »

 

Le savoir-faire français en péril 

 

Redonner l’ambition initiale du texte de la loi anti-fast fashion est aujourd’hui un enjeu majeur selon les intervenants. Car en l’état, le texte ne freine plus l’ultra fast fashion — il l’autorise. Sans un sursaut politique, ce sont les pires pratiques qui continueront de dicter la norme. 

La loi sera inscrite au Sénat le 2 juin. La procédure accélérée engagée par le gouvernement limite les marges de manoeuvre : un seul passage au Sénat, puis une commission disparitaire. En cas de désaccord, l’Assemblée nationale aura le dernier mot. 

Mais au-delà des joutes parlementaires, c’est toute une filière qui est en jeu. « Notre patrimoine textile, nos savoir-faire, notre modèle social sont menacés », résume Anne-Cécile Violland. Pour elle, la meilleure arme reste la sensibilisation :

 

« Acheter devient un acte citoyen. Ce n’est pas moralisateur, c’est vital. Si vous achetez Shein, vous tuez l’industrie française et la planète ». 

 

 

Rédaction/Photos : Stella Chaspoul Autuoro 

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