Face au changement climatique et à la multiplication des règlementations en matière d’éthique et de RSE, la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin (FFPPF) accompagne les entreprises de mode dans leur transformation. Pour mettre en lumière le sujet, nous avons rencontré Adeline Dargent, en charge des sujets RSE et Déléguée Générale du Syndicat de Paris de la Mode Féminine (SPMF). Elle nous explique les outils et les projets mis en place par la Fédération au profit d’une mode durable.
À quel moment avez-vous commencé à accompagner des PME dans leur transformation RSE ?
J’ai un profil juridique en droit social et l’éthique est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui rejoint les sujets RSE. À la Fédération, on s’intéresse à deux grands volets : la partie environnementale et sociale, notamment avec la fast fashion.
En 2017, lorsque Pierre-François Le Louët (Président de l’agence NellyRodi) est arrivé à la Présidence de la Fédération du Prêt-à-Porter Féminin, on a commencé à évoquer l’accompagnement des entreprises de mode en RSE puisque beaucoup d’entre-elles se trouvaient perdues quant à la marche à suivre, notamment pour réduire leur impact sur l’environnement. Aujourd’hui, on voit de nouveaux business models qui émergent, des entreprises construites sur ces valeurs éthiques, donc le but était de transformer les business models déjà existants.
Quels outils mettez-vous à disposition des entreprises ?
La mode ayant une chaîne de valeurs très éclatée et très internationale, nous rencontrons de grandes difficultés pour contrôler tout ce qu’il se passe à tous les niveaux. Je travaille beaucoup avec la Fédération de la Maille, de la Lingerie et du Balnéaire et nous avons choisi de mettre en place des outils pédagogiques, via la création de guides et d’ateliers pour accompagner ces entreprises -qui sont majoritairement des PME- grâce aux subventions allouées par notre comité de développement (DEFI). Et le seul critère d’éligibilité du DEFI pour pouvoir être accompagné, est de faire des produits en chaîne et trame.
En 2019, nous avons sorti un guide sur l’approvisionnement responsable. La chaîne d’approvisionnement nous semblait un sujet prioritaire à traiter, que nous avons ensuite décliné en ateliers. Cet outil est toujours utilisé en entreprise de façon à ce que les démarches soient cohérentes.
Deux ans plus tard, nous avons publié un guide sur l’éco-conception, à savoir : Comment éco-concevoir sa marque ? Ses collections ? Quel est le cycle de vie d’un produit ? Quelles matières utiliser ? etc. Cet outil a pour vocation d’inspirer les entreprises pour qu’elles puissent rediriger et restructurer leur business model et leurs valeurs.
2022 a marqué l’élaboration d’un nouveau guide sur la communication responsable, décliné lui aussi en ateliers. En effet, une fois que les entreprises ont traité et mis en place ces différents sujets, la communication vis-à-vis des consommateurs, toujours correcte et sans dissonance, est fondamentale. Cela passe aussi par l’implication des collaborateurs pour bien comprendre les enjeux.
Dans le même temps, nous nous sommes rendus compte que des entreprises accompagnées sur la communication responsable avaient des lacunes sur la stratégie de base à suivre et notre accompagnement permet justement de la retravailler, sous forme de modules, à chaque étape.
Qu’en est-il de la loi sur le Devoir de Vigilance… ?
(Pour rappel : la loi sur le Devoir de Vigilance impose aux entreprises donneuses d’ordre de renforcer le dispositif de pilotage des risques fournisseurs, notamment les audits sur site et la connaissance des chaînes d’approvisionnement.)
Prochainement, nous allons proposer un outil réservé, cette fois, uniquement aux adhérents de la FFPPF et de la FMLB. Il sera porté sur la gestion de la loi sur le Devoir de Vigilance dans nos entreprises, et ce, quelle que soit leur taille.
Depuis 2017, cette loi est assez peu appliquée dans le secteur car nos entreprises ne sont pas directement concernées. Elles répondent à des seuils qui sont inférieurs à ceux qui rendent le Devoir de Vigilance obligatoire. Par contre, il y a des règlementations européennes qui sont en train d’évoluer et on reste convaincu que ça fait partie d’une stratégie RSE, qu’il faut identifier les risques sur sa chaine de valeurs et qu’il est important de la cartographier.
… et des autres lois : AGEC et Climat et Résilience ?
En parallèle, on voit des réglementations qui se sont accélérées, notamment en France. La loi AGEC, publiée en 2020, et rentrée en application pour certaines entreprises, a rendu obligatoire le 1er janvier 2023 l’information aux consommateurs, dont une partie de traçabilité.
Et il y en a d’autres ! Le 22 août 2021, une autre loi est arrivée : celle de Climat et Résilience qui vise à réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), dans un esprit de justice sociale. L’article 2 de la loi de Climat et Résilience précise que l’affichage environnemental doit informer sur « l’empreinte écologique des biens et services considérés sur l’ensemble de leur cycle de vie. »
Concernant l’alimentation, on a beaucoup parlé du Nutri-score, ce système d’étiquetage nutritionnel à l’avant des emballages, créé par Santé publique France, pour aider les consommateurs à faire des choix éclairés sur la composition nutritionnelle des produits. Avec la mode, c’est beaucoup plus compliqué ! Pour l’affichage environnemental on n’ira pas, à priori, sur ce système de ponctuation « A, B, C, D » avec une échelle colorimétrique. C’est encore aujourd’hui à l’étude.
Si on veut répondre aux 8 critères d’impacts mis annoncés par le gouvernement en mars dernier pour le futur score environnemental (à savoir : consommation d’eau, durabilité physique des textiles, conditions de production, utilisation de pesticides et produits chimiques, rejet de microplastiques, valorisation des matières recyclées, valorisation des textiles reconditionnés et impact de la fast fashion), on a un sujet majeur de traçabilité à élaborer. Ces travaux d’études et de recherches ont été menés avec le DEFI et le Comité Stratégique de la Filière (CSF) Mode et Luxe : nous apportons des outils aux entreprises pour les aider à faire leur choix et pour les sensibiliser à cette question.
En conséquence, la traçabilité est un des enjeux majeurs de ces deux prochaines années. Tout cela entraîne des réorganisations, notamment financières et en ressources humaines, car un certain nombre de départements vont être impactés dans l’entreprise (studio, production, Développement de Solution Informatique (DSI), etc).
Parlez-nous de « Ressources Green » : de quoi s’agit-il ?
Sur le site web de la Fédération, on a mis en place un répertoire de solutions permettant aux marques de réussir ou d’accélérer leur transition vers un modèle plus durable. Cet outil aide les entreprises à aller identifier les compétences requises et trouver leurs prestataires : cabinets de conseil, coachs d’entreprise, spécialistes de la seconde main ou du recyclage… Cet écosystème RSE est sélectionné par un comité de dix experts qui les valident.
Que va-t-il se passer le 1er janvier 2024 ?
La méthode pour l’affichage environnemental, qui était prévu pour 2024, n’a pas encore été fixée. Au niveau du calendrier européen, les échéances sont plus lentes qu’en France pour appliquer ces changements. Harmoniser les méthodologies est assez difficile ! Donc l’année prochaine, l’affichage environnemental ne sera pas obligatoire, il sera volontaire et encadré. On ose espérer qu’en 2025 il deviendra obligatoire…
Quels défis rencontrez-vous au quotidien ?
Le plus grand défi est d’embarquer le plus d’entreprises possibles. Même en leur proposant des accompagnements gratuits, il faut aller les démarcher et les convaincre. Nous avons à faire à des entreprises de petite taille qui ont moultes contraintes donc c’est difficile pour elles de prendre de la hauteur, en partie sur ces sujets qui sont parfois vécus comme une contrainte. D’ailleurs, certaines ne veulent plus entendre parler de RSE car c’est « trop compliqué et contraignant ».
La FFPPF intervient également sur la fast fashion : quel est votre avis à ce sujet ?
On a des projets d’études pour faire le point sur la fast fashion. Et par rapport aux grands groupes chinois d’ultra fast fashion, je pense qu’il faut éviter de trop en parler et déculpabiliser le consommateur. Le focus doit être mis davantage sur les bonnes pratiques. Le consommateur est suffisamment intelligent pour se rendre compte, à un moment donné, de la nécessité d’acheter des produits plus responsables sous réserve que ceux-ci ne coutent pas beaucoup plus cher.
« Les prises de conscience et les changements se font pas à pas ; il faut avoir l’humilité de le reconnaître. »
Adeline Dargent
Quels sont vos projets ?
Nous allons continuer à développer des outils pédagogiques et accessibles, car notre objectif est d’accompagner le plus grand nombre d’entreprises dans la transition écologique.
Nous allons aussi continuer d’opérer auprès des pouvoirs publics, de solliciter des budgets, et ça c’est notre rôle en tant que Fédération, pour que toutes ces méthodologies ne soient pas trop couteuses à mettre en place par les entreprises. L’important est qu’elles travaillent la traçabilité de leurs produits, condition sine qua none pour pouvoir perdurer sur le marché.
Photo : Adeline Dargent
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