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Il y a des instants où l’on entre dans un lieu comme on entrerait dans une respiration. Ce premier week-end de décembre, la Manufacture des Gobelins à Paris ouvrait ses portes pour deux journées immersives orchestrées par l’Institut français, dans le cadre de l’exposition « Ce qui se trame ». Ateliers textiles, gestes partagés, performances musicales : tout semblait tisser un dialogue vivant entre la France et l’Inde, là où la création contemporaine rencontre les traditions, et où les mains deviennent médiatrices de poésie.

Dès l’arrivée dans les ateliers, l’odeur du bois, la rugosité des tissus et la vibration des fils tendus m’ont enveloppée. Les artistes de la Villa Swagatam, Deborah Fischer et Marisol Santana, guidaient les visiteurs avec une présence douce, presque silencieuse : leurs gestes précis se mélangeaient à ceux du public. Les charpais revisités, ces lits traditionnels indiens, et les bains d’indigo ouvraient un espace où mémoire, transmission et artisanat offraient une sorte de rituel…

 

charpais - "Ce qui se trame" : réparer et transformer, entre France et Inde - Pearls Magazine

Réparer : les charpais de Deborah Fischer

 

Dans l’atelier de Deborah Fischer, les charpais semblaient attendre patiemment, comme des surfaces vierges prêtes à accueillir l’intuition. Les participants manipulaient chutes de tissus, morceaux de bois, navettes et fragments d’assiettes du Mobilier national.

« Cet atelier est une transmission de savoir, un travail de la main », explique Deborah, les yeux pétillants.

Chaque fil tiré, chaque tissu posé, portait une mémoire. Souvent féminine. Une mémoire des mains qui ont façonné, réparé, aimé les objets.

« Il est important de croiser le savoir-faire à quelque chose de plus intuitif », rappelle l’artiste.

Au fil des minutes, les éléments hétéroclites se mêlaient dans une composition collective. Dinesh Solanki et les artisans indiens présents veillaient à la justesse des gestes traditionnels, tout en laissant place à une interprétation libre. Les ajouts devenaient autant d’hommages, presque des actes de soin, comme un Kintsugi contemporain où les fragments révèlent la force et la beauté.

« Faire œuvre collectivement », insiste Deborah, alors que la pièce se transforme sous l’énergie de tous.

Je me suis laissé porter par le rythme : toucher, tendre, assembler, envelopper… Les gestes devenaient langage. Ici, réparer semblait aller bien au-delà de la matière et glisser vers la réparation symbolique, une reconnexion entre le passé et le présent.

 

 

Indigo - "Ce qui se trame" : réparer et transformer, entre France et Inde - Pearls Magazine

Transformer : l’indigo avec Marisol Santana

 

À quelques pas, l’atelier de Marisol Santana se déployait dans les profondeurs du bleu. L’indigo, plante millénaire, enveloppait les tissus plongés dans ses eaux teintées.

« Les artisans sont essentiels ; c’est grâce à eux que la transmission devient pure et vivante », explique Marisol, en saluant l’accompagnement de Manish Verma, maître teinturier indien.

Ici, les gestes se faisaient plus méditatifs : mains humides qui plient, étendent, cousent… L’énergie collective prenait une texture douce, presque féminine.

« Travailler à plusieurs mains, c’est une énergie indescriptible qui nourrit une œuvre », ajoute Marisol.

Les patchworks se formaient en silence, mosaïques vibrantes issues de rencontres : traditions indiennes, expérimentations contemporaines, savoirs, intuitions.

« Chaque geste est un pont entre traditions et expérimentation », souligne l’artiste.

 

Mains qui tissent - "Ce qui se trame" : réparer et transformer, entre France et Inde - Pearls Magazine

Transmettre : la mémoire vivante de la main

 

En quittant ces ateliers, quelque chose restait ancré : le frôlement du tissu, la tension du fil, la chaleur du geste collectif. « Ce qui se trame » ne se limite pas à des œuvres exposées ; c’est une expérience sensible, un témoignage du dialogue entre les traditions indiennes et les pratiques contemporaines françaises.

La création devient ici un processus en trois temps : réparer, transformer, transmettre. Chaque fil, chaque nuance, chaque souffle participe à une danse entre passé et présent, entre matière et mémoire.

Pendant un mois, les œuvres seront visibles au siège de l’Institut français, rappelant la beauté du processus artisanal, où les mains, les matières et l’énergie partagée tissent leur propre rituel.

 

Texte & Photos : Stella Chaspoul Autuoro

Plus d’information sur les gestes ancestraux dans notre magazine

 

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