Dans une mode en constante évolution, peu de voix ont été jusqu’alors aussi influentes que celle d’Orsola de Castro. Alors que Fashion Revolution s’apprête à fêter son 10e anniversaire, nous l’avons rencontrée. Elle revient sur le parcours du mouvement activiste qu’elle a cocréé ainsi que sur ses réalisations et nous explique ses nouvelles ambitions dans la mode durable.
Pour Orsola de Castro, Fashion Revolution fondé en 2013 a mis en évidence le besoin urgent d’un changement systémique dans l’industrie de la mode. Dans le même temps, une équipe mondiale de Fashion Revolution a été constituée pour déterminer ses actions et objectifs qui, un an plus tard, ouvraient la voie à l’organisation pour transformer le secteur de la mode.
En mettant l’accent sur la décentralisation et l’inclusivité, Orsola de Castro, « très fière et ravie d’avoir fondé cette organisation », a souligné qu’en dix ans d’existence, Fashion Revolution a transcendé ses origines puisqu’elle est aujourd’hui dirigée par un collectif composé de salariés et de volontaires répartis dans 85 pays. Depuis un an et demi, elle et la co-fondatrice du mouvement, Carry Somers, se sont éloignées de leur implication quotidienne pour se dédier à d’autres projets.
Fashion Revolution : mouvement mondial pour le changement
La dernière campagne « Good Clothes, Fair Pay », déployée sur le site web de l’organisation, est devenue « un cri de ralliement qui a favorisé des collaborations bien au-delà des campagnes de Fashion Revolution, mettant en avant un salaire juste pour des vêtements produits de façon éthique», explique-t-elle. Toutefois, Orsola de Castro a avancé que cette campagne ne concernait, pour l’instant, que l’équipe européenne et se limitait à cette région.
Par ailleurs, la co-fondatrice de Fashion Revolution a insisté sur l’importance de la transparence et de la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et de production, comme en témoigne l’Indice de Transparence de la Mode (Fashion Transparency Index 2023 : cliquez ici pour le télécharger.)
« Cet outil mesure et rapporte exclusivement les divulgations publiques plutôt que de spéculer, ce qui permet aux parties prenantes d’examiner les pratiques et d’exiger l’exactitude de leur travail », précise notre invitée. Toutefois, elle reconnait que la transparence à elle seule ne garantit pas des pratiques éthiques, s’agissant ici d’une étape cruciale vers la responsabilisation.
« Nous sommes encore loin de l’industrie que nous voulons voir »
Orsola De Castro, co-fondatrice de Fashion Revolution.
Le pouvoir de l’upcycling
L’une des nouvelles activités d’Orsola de Castro concerne l’upcycling qu’elle considère comme un élément essentiel de transformation de l’industrie de la mode. « J’ai quitté Fashion Revolution parce que je veux me concentrer sur ce qui fait ma force et ma passion : aider les autres à réaliser leurs projets et leurs ambitions. »
Lors de notre interview, elle a fait remarquer que le terme “upcycling” (surcyclage) ne reflétait pas toute l’essence du processus, préférant le terme “reclaiming” (réparation). « Du désert d’Atacama au Chili jusqu’au Ghana, l’upcycling et la réutilisation des vêtements sont devenus un artisanat moderne qui lutte contre le gaspillage et favorise la durabilité. C’est là que je veux mettre mon énergie pour les dix ou quinze prochaines années. “
De ce fait, pour l’experte en mode durable, l’upcycling est une alternative viable aux déchets et la seule solution actuelle pour gérer les matériaux excédentaires. « Quant au recyclage, bien qu’il améliore sensiblement l’impact actuel sur l’environnement, il nécessite obligatoirement une injection de polyester. Aussi, il reste dans les limites du capitalisme, conçu pour produire toujours plus d’excédents à grande échelle et ne peut pas entièrement stopper le cycle de la surproduction. C’est cela que nous devons changer ! »
Changer la culture des consommateurs
Orsola de Castro n’a pas mâché ses mots lorsqu’elle a abordé le rôle des consommateurs. Tout en plaidant en faveur de la réparation des vêtements et de la consommation réfléchie -qu’elle affiche volontiers sur son compte Instagram avec des tutoriels ludiques pour raccommoder tous types de vêtements- elle a insisté sur le fait qu’il était essentiel de modifier la culture. « Réparez vos vêtements et adoptez un état d’esprit différent lorsque vous achetez. Et posez-vous la question : en avez-vous réellement besoin ? ».
Par ailleurs, elle a réfuté avec véhémence l’idée que la demande des consommateurs entraîne une surproduction, l’attribuant à un mensonge perpétué par l’industrie :
« On nous a demandé de consommer quelque chose. Si quelque chose n’est pas produit, nous n’en voulons pas et nous ne l’achetons pas. La production n’est pas basée sur la demande des consommateurs. C’est un mensonge de continuer à produire avec une qualité très faible et dans de mauvaises conditions. D’ailleurs, personne n’a besoin de la quantité de vêtements que nous consommons. »
L’engagement d’un mentor pour aider les nouvelles générations
Aujourd’hui, Orsola de Castro considère qu’elle a déjà suffisamment porté sa voix. Elle se consacre actuellement au mentorat de la nouvelle génération de designers et d’activistes. Dans quelques jours, elle s’envolera pour Hong-Kong pour participer au concours Redress et, à distance, elle transmettra sa sagesse et ses connaissances aux jeunes esprits du Circular Design Challenge, à Mumbai. « L’Inde est un géant de la production, il y a donc beaucoup de travail à y faire en matière d’upcycling. »
Fin septembre, elle se rendra également à Casablanca (Maroc) dans le cadre d’un projet organisé par les Nations Unies à l’intention des étudiants d’une école technique pour les initier à l’upcycling.
Consciente de l’impact de ses voyages sur l’environnement, elle explique : « J’ai voyagé dans le monde entier et je suis en train de repenser ma vie professionnelle, de réduire drastiquement mes déplacements et de privilégier le slow travel. »
C’est pourquoi elle se rendra en train au festival de Hyères (France) en octobre. Pour cet évènement, elle a encadré les finalistes dans leurs projets de luxe. « J’ai juste besoin que la prochaine génération prenne le relais et sa motivation est très différente de celle de la génération qui est au pouvoir aujourd’hui ! »
Un avenir guidé par une vision
Elle sourit. « J’attends patiemment car, en fin de compte, les gens me voient comme une visionnaire. Pour moi, la vision, c’est la patience. Lorsque vous avez une idée, vous avez juste la patience nécessaire pour qu’elle se réalise. »
La vision du luxe d’Orsola de Castro repose sur une transparence totale : retracer chaque étape du parcours d’un produit, montrer l’origine des matériaux et les processus de fabrication.
« Définissons le luxe. Pour moi, le luxe est une question de pedigree. Sans pedigree, vous n’êtes pas un aristocrate ! Le luxe ne signifie donc rien si vous ne pouvez pas me montrer l’origine des graines que vous avez semées… Chaque étape de la production doit être transparente. C’est le seul luxe qui ait un sens pour moi. C’est pourquoi je souhaite développer un nouveau luxe en phase avec l’agriculture régénérative et la biodynamique pour préserver nos sols. “
Alors que Fashion Revolution s’apprête à franchir une étape importante, à savoir dix ans de sensibilisation et d’actions auprès des gouvernements à travers le monde pour une mode plus éthique, la détermination d’Orsola de Castro reste inébranlable. Le parcours de l’organisation souligne le pouvoir de l’action collective dans la refonte d’une industrie. Avec l’upcycling comme pierre angulaire, Orsola de Castro se réjouit d’un avenir où la durabilité et la conscience seront à l’origine de tous les aspects de la mode.
Photos : Orsola de Castro
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